Qayid Aljaysh Juyub

Une histoire pour la nuit : le jardinier

Bibbi Blockhill poussa un soupir de satisfaction lorsque le dernier visiteur quitta le salon de bronzage Helios. Ce type, Karl Krautss - accentuation du double 'S', comme l'a toujours fait remarquer l'immodeste préretraité - de son nom, était un de ces gars particulièrement insistants qui la déshabillaient littéralement de leurs regards avides. En temps normal, la séduisante trentenaire blonde appréciait les regards admiratifs, voire lubriques, des clients masculins et de certaines femmes, mais ce spécimen de chauve moyenâgeux et obèse donnait à l'objet du désir une envie irrésistible d'expulser le dernier repas par voie orale. Le fait que cet antiadonis se considérait en plus comme totalement irrésistible était bien sûr à couper au couteau. Quel contraste avec son Binukiu, qui s'amusait certes avec toutes les dames consentantes qui ne se trouvaient pas à trois sur un arbre très haut, ne possédait certes pas un corps de rêve, mais la pensée de son charme dominant et âpre ainsi que de sa petite poitrine démesurée lui donnait de temps en temps un frisson de pur plaisir ; un vrai mec, en somme !
"Je déteste ces putains de machos !"
Après avoir exprimé ce souhait très émancipateur, Bibbi se secoua encore légèrement en pensant à Charles le Chauve, puis, se débarrassant complètement de sa paresse ennuyée, elle se consacra avec une ardeur de fin de soirée à la fermeture du grill studio. Pour ce faire, l'employée à mi-temps, d'habitude totalement désintéressée, s'est montrée d'une méticulosité inhabituelle, qui n'était en fait réservée qu'au vernissage de ses ongles de pieds et de mains pendant les heures de travail, puisque son patron, ce petit arriviste d'Aton, ne se gênait pas pour virer les employés négligents et que le petit geek du service du matin, Freddie Akhenaton, racontait vraiment tout à son patron très vénéré.
Après avoir réussi à verrouiller la porte extérieure après quelques efforts - l'utilisation d'une clé peut être assez difficile pour certaines blondes - notre héroïne à la poitrine généreuse s'est empressée de faire sa ronde du soir dans les différentes cabines.
"Oh Manno !"
Bibbi vient d'entrer dans la cabine 666 et remarque une ligne bien alignée de choux légèrement brunâtres sur le solarium décrépit. C'était sans doute le résultat d'une tentative de ce crétin de Krautss, cette pomme de terre en germination, de gagner son affection. En tout cas, cette idée un peu simple a traversé spontanément l'esprit habituellement plutôt lourd du poison blond, qui a poussé un soupir d'agacement.
"Törööö !"
L'exclamation en forme de trompette fit tourner la séduisante blonde dans tous les sens pour percevoir une silhouette très inhabituelle à la porte de la cabine. Les yeux écarquillés d'incompréhension, Bibbi perçut l'intrus et, lorsqu'elle réalisa enfin ce qui se tenait devant elle, elle partit d'un fou rire qui fut presque immédiatement stoppé pour toujours par la griffe de jardinage violemment brandie qui s'enfonça dans le membre supérieur qui tenait ses cheveux.

*

L'élégant I-Phon XL, serti de brillants, jouait la mélodie du générique de la scène de crime - ainsi programmé comme signe distinctif des téléphones portables de service primitifs des collègues de bas étage - une fois de plus à contretemps, interrompant son propriétaire, l'inspecteur principal Punchie, dans son rituel matinal. Soupirant d'agacement, le criminologue expérimenté posa le billet d'euro roulé de la plus noble valeur nominale sur le miroir à 1000 dollars qui se trouvait sur sa table design exclusive.
"Qu'est-ce qui se passe ?"
"Ici l'agent Seppel ! Désolé pour mon appel, le commissaire Pierrot est malade aujourd'hui et on m'a dit de m'adresser à vous..."
"Bon sang Seppel, je suis en train de faire du télétravail pour mon propre compte et je suis indisponible pour le moment. En tant que supérieur hiérarchique, je vous ordonne de vous adresser aux commissaires Rivel ou Grock pour leur faire part de votre petit problème ! Après tout, il est déjà 10 heures et les paresseux devraient déjà être au bureau !".
"Oui, Monsieur le Commissaire en chef, le jardinier a encore tué !"
L'officier de police consciencieux soupira d'exaspération : "Toujours ces petites choses ! L'appellation écologiquement précieuse de la profession de Seppel était le surnom d'une étoile montante au firmament des tueurs en série, qui ne vidait ses victimes qu'avec des outils de jardinage et drapait les scènes de crime avec des légumes de saison.
"Ah, un cadavre, comme c'est malheureux ! Quoi qu'il en soit, suivez mes instructions ! Le commissaire chargé de l'enquête devra ensuite me faire son rapport demain, mais pas avant 13 heures, s'il vous plaît !"
"Je suis vraiment désolé, Monsieur le Commissaire en chef, c'est le duc d'Otrante, qui est directeur de la police, qui me l'a dit personnellement".
"Seppel, espèce de crétin ! Je veux dire : espèce d'idiot, pour que vous me compreniez aussi ! Pourquoi ne l'avez-vous pas dit tout de suite ? Où donc notre ami jardinier a-t-il frappé ?"
"Oui, monsieur l'idiot suprême... Je veux dire : oui chef. Le lieu du crime est la Bachbergstr. 7, c'est presque près du bordel, c'est-à-dire le quartier rouge..."
"Fermez votre bouche insolente ! Je sais où c'est et j'arrive tout de suite".
"Oui, Monsieur le Commissaire, vous le savez certainement...".
Après avoir coupé rageusement la parole à son subordonné par voie électronique, Punchie acheva son projet interrompu en dégustant une ligne de poudre blanche de qualité supérieure, dont la qualité ne faisait aucun doute puisque le fonctionnaire flexible l'avait habilement dérobée la veille dans la salle des pièces à conviction.
Ce satané Seppel ! Parfois, le chef de la police judiciaire, si conscient de son devoir, ne savait vraiment pas si son serviteur était réellement doté de si faibles capacités mentales - car bienheureux sont les pauvres d'esprit, comme vous le confirmera avec joie tout politicien pseudo-démocratique - ou s'il se moquait de lui avec sa swejkiade. La dernière remarque du sergent était-elle même une allusion à ses diverses et très lucratives relations avec le roi des maquereaux Karl-Heinz Wirsch ? Non, ce n'était pas possible, et si c'était le cas, le directeur de la police et les autres grands pontes s'en moquaient éperdument, à condition que cela passe en haut lieu.
Le commissaire en chef, qui a l'expérience du milieu, soupira d'exaspération. Il devait à nouveau s'occuper de ces peanuts ! On s'en foutait quand un fou tuait un type normal, ça arrivait à chaque coin de rue ! Mais attendez, il devait s'agir d'une affaire politique, sinon le duc d'Otrante ne serait pas intervenu personnellement. Soit il y avait des indices, soit ils étaient fabriqués de toutes pièces par une autorité compétente, qui indiquaient que l'auteur des faits était de droite. Punchie connaissait suffisamment son chef ! Celui-ci avait survécu à plusieurs administrations et avait toujours mis hors d'état de nuire, d'une manière ou d'une autre, des personnes politiquement indésirables dans l'intérêt de ses employeurs ; pour ainsi dire, d'inquisiteur contre la gauche à chasseur de sorcières contre la droite. L'enquêteur expérimenté rit doucement en lui-même. Si l'on créait un ministère correspondant, il pourrait très bien s'imaginer qui serait le futur ministre de la police. Mais une chose était claire : le duc ne comprenait absolument pas la plaisanterie !
C'est donc le cœur lourd que le commissaire en chef, toujours politiquement correct mais par ailleurs totalement corrompu, se mit en route, d'autant plus qu'il devait en fait aller chercher quelques enveloppes bien remplies de 'clients réguliers' reconnaissants.

*

"Monsieur le commissaire en chef, signalez docilement : c'est le lieu du crime ! Si vous voulez bien me suivre".
Punchie regarda son ami à contrecœur. Comment avait-il pu avoir l'idée absurde que ce type débile jouait un jeu ici ? Quelques minutes plus tôt, après s'être détendu sur le parking du supermarché voisin avec des drogues de marque pas très bon marché, la terreur de la pègre était arrivée au volant de sa Lotus XL financée par des revenus annexes et avait élégamment immobilisé le noble véhicule, ce qui, compte tenu de la vitesse d'arrivée de cent kilomètres à l'heure, représentait déjà un exploit de pilote de course ; toutefois, le représentant de la loi mobile s'exerçait aussi régulièrement à la course à grande vitesse dans le centre-ville. Avec une rapidité inhabituelle, l'agent Seppel, qui attendait patiemment depuis son appel l'arrivée de son supérieur devant le salon de bronzage, a réussi à ne pas entrer dans les statistiques des victimes de la route en faisant un énorme saut de côté, si bien que seules quelques poubelles ont connu un triste sort. Déçu et secouant la tête, le criminologue passionné quitta à contrecœur sa limousine de luxe et fut rapidement briefé, comme à son habitude, par la presque victime de la route, visiblement pas du tout impressionnée.
"Sans blague, Seppel ! La police scientifique et le légiste ont-ils déjà fini ?"
"Non, chef, ils ne sont pas aussi rapides que vous pour vos arrestations, ils travaillent".
"Qu'est-ce que ça veut dire encore, espèce de clown ?"
Avec un air innocent comme celui d'un bœuf, l'agent de police futé regarda son supérieur récalcitrant.
"Rien, chef ! Je dis juste qu'ils n'ont pas fini !"
"D'une certaine manière, vous ressemblez au Sphinx, Seppel. Vos capacités mentales ne sont pas suffisantes pour faire des puits, mais vous êtes certainement aussi énigmatique. Et maintenant, mettez en mouvement le siège de votre modeste appareil à penser".
Le regard d'incompréhension de son subordonné perplexe mit, comme à son habitude, le criminologue en chef dans une rage moyenne.
"Que vous me compreniez bien : Bougez votre cul en direction de la scène de crime maintenant, s'il vous plaît !"
"A vos ordres, Monsieur le Commissaire en chef. Quoi que vous disiez !"
Le géant de l'esprit en uniforme entra docilement dans le salon de bronzage de l'horreur avec son maître à sa suite, dont la maîtrise de soi de fer parvint tout juste à réprimer l'envie irrésistible de faire parler son arme de service à sa place.
Le lecteur averti a peut-être déjà pu observer les détails de la scène qui s'offre à lui dans d'innombrables films policiers, qui sont au moins aussi marqués par l'ignorance du véritable travail de la police que mes barbouillages, de sorte que j'économise les détails sordides par pure paresse. Alors que toutes sortes de figurants s'agitaient à l'arrière-plan, occupés à quelque bricolage de police scientifique, trois personnes importantes pour cette scène se trouvaient dans le local commercial du salon de bronzage : Monsieur Aton, son employé Akhenaton et le pathologiste Babushka.
"Si vous regardez ici, chef. Les deux Sudistes sont Akhenaton et Aton. Akhenaton est le garçon qui a découvert le corps. La victime travaille ici, s'appelle Bibi Blockhill, a 35 ans et habite au 666a de la Brokenstr. La victime est célibataire, mais elle a une relation avec Monsieur Binukiu...".
"Seppel, espèce de crétin, épargnez-moi des détails aussi insignifiants !"
"Oui, maître chef ! Je fais arrêter les Sudistes ?"
Tandis que les deux 'Sudistes' d'origine égyptienne fixaient Seppel, complètement consternés, Punchie secouait la tête de commissaire, dans l'incompréhension totale d'une telle incapacité.
"Seppel, espèce de sifflet, combien de fois dois-je vous dire que nous n'utilisons cette procédure que pour les bioteutons ! Présentez vos excuses à ces messieurs".
"Excusez-moi, mais d'habitude, le commissaire en chef fait arrêter la personne qui a trouvé le corps, parce que c'est facile. Parfois, nous attrapons aussi un sans-abri qui a perdu la raison, parce que c'est certainement le meurtrier et qu'il ne se défend pas. C'est pour ça que le chef a un taux d'élucidation de 100 pour cent !"
Une fois de plus, le criminel en chef à cent pour cent pensa à son arme de service, mais décida, avec un effort de volonté extrême, de faire feu verbalement ; peut-être pourrait-on à l'occasion attirer l'honnête Seppel dans une sombre ruelle latérale et y mettre fin à la misère.
"Taisez-vous, putain d'idiot. Ne prenez pas au sérieux, messieurs, ce que le sergent délire là-bas. Ces charges subalternes ont tout de même parfois un sens de l'humour assez singulier" !
"Akhenaton, mon fidèle serviteur, dis au mortel que, dans mon infinie sagesse, je connais parfaitement les méthodes des bedeaux d'ici. Ô mon humble serviteur, annonce à la basse police, ton alibi sacré, à savoir que tu as passé la nuit avec moi dans une adoration respectueuse. Pour toute autre question, que les représentants de la mondanité profane s'adressent à notre 'Advocatus Dei', Lucifige Rofocale" !
La désignation de l'avocat divin provoqua chez Punchie un très puissant malaise au creux de l'estomac. Le célèbre avocat de la défense du cabinet Asmodeus & Friends jouissait d'une réputation sans équivoque, fondée sur le fait que ce juriste libéré de tout scrupule avait réussi à obtenir l'acquittement pour "vice de forme" de l'inégalable tueur en série Mackie Messer, communément appelé 'Jack the Knive' ; dans ce sens, il ne faut toutefois pas oublier que les tribunaux locaux n'étaient pas vraiment dotés d'une sagesse éprise de justice.
"Aton, dont la lumière bénit le monde des mortels, daigne vous annoncer ce qui suit, ô vile vermine : que celui qui a des oreilles pour entendre, entende...".
"Ce n'est pas grave, Monsieur Akhenaton, j'ai bien entendu votre chef ! Que ces messieurs pardonnent l'incompétence de mon personnel ! Il va de soi que vous ne serez pas soupçonné de quoi que ce soit ! Veuillez donc saluer Monsieur Rofocale de ma part !".
Comme le couple égyptien, malgré ses liens manifestement puissants et tordus avec le maître avocat de l'angle, faisait une légère impression de folie sur le servile enquêteur en chef, une idée lucrative se forma dans la tête du commissaire.
"Seppel, espèce de troglodyte, est-ce que la recette du jour est encore dans la caisse ?"
L'homme en question sourit avec une simplicité pleine de sagesse.
"Bien sûr, chef, je comprends. Vous voulez vous en assurer ?"
La foudre ne pouvait-elle pas tout simplement frapper ce satané Svejk ? L'enquêteur en chef était à nouveau au bord de la crise d'hystérie.
"Foutu crétin... Je veux dire : Merci pour l'information, agent".
Avec un rictus gluant d'obligation d'état, le chef des flics se tourna vers Aton et son pieux serviteur.
"Messieurs, vous devez comprendre qu'il est urgent d'examiner les billets de banque pour... hmm, pour mes empreintes digitales. A mon grand regret, elles seront détruites par ce procédé hautement technologique et climatiquement neutre. Je suis sûr que ces messieurs seront d'accord avec moi pour dire qu'aucun sacrifice n'est trop grand pour faire triompher la justice !"
"Akhenaton, ma petite ordure au cœur serré, demande à ce simple mortel impertinent si son esprit faible suppose que nous fermons nos pantalons avec des pinces ? Ensuite, ô le plus aimé des serviteurs de Dieu, appelle le rofocale".
Avant que le porte-parole d'Aton ne puisse répéter les paroles de son maître, l'entreprenant commissaire en chef intervint pour calmer le jeu.
"Allons, allons, messieurs. Il n'y a pas lieu de s'énerver ! Je pense que dans votre cas, nous pouvons nous passer d'un examen plus approfondi de la pénunya. Il n'est certainement pas nécessaire d'ennuyer l'honorable Lucifige Rofocale avec un cas insignifiant comme celui-ci. Soyez assuré que je ne vous importunerai plus pour ce délit mineur ! Vous pouvez maintenant rentrer chez vous en toute tranquillité. Si vous le souhaitez, je vous fournirai une escorte policière pour que vous ne soyez plus importuné par des absurdités telles que la circulation avec priorité ou les feux rouges !"
Punchie regarda Aton, rayonnant de majesté, d'un air suppliant.
"Je suis miséricordieux même envers ceux qui ne le méritent pas, car ils sont comme de la poussière à mes pieds ou des fourmis qui se réjouissent de l'éclat de ma présence réchauffante. Toi, Akhenaton, hâte-toi maintenant d'achever dans mon lit l'œuvre sacrée".
Le dieu du soleil regarda avec complaisance l'officier de garde si impopulaire auprès de son supérieur.
"Qu'il me suive en m'escortant, car j'aime les enfants et les fous, car leur foi est pure et forte. Qu'il m'aide aussi à faire venir la Trinité dans ma chambre à coucher" !
"Seppel, quand vous aurez satisfait ces messieurs, veuillez convoquer tous les suspects au commissariat".
"A vos ordres !"
Un homme en uniforme au sourire joyeux et voluptueux s'empressa d'escorter les Egyptiens affectueusement enclins à la domination en quittant les lieux.
Babushka, le pathologiste, avait suivi les événements jusqu'ici dans un silence grimaçant et s'exprimait maintenant d'autant plus clairement.
"Oioi, commissaire, quelle mésaventure. Les deux Egyptiens vous ont échappé..."
"Et qu'est-ce que vous me voulez, vous, vieux croque-mort ? Ne me faites pas la leçon, mais allez droit au but".
"Ah, commissaire, ne vous énervez pas comme ça. Vous voulez aller voir la victime assassinée ?"
Manifestement, les petits chefs avaient conspiré pour énerver le commissaire en chef ; de plus, il y avait encore divers symptômes de manque.
"Qu'est-ce que c'est que ces bêtises, vieux vautour ? J'ai des choses plus importantes à faire que de regarder des cadavres ! Ne me volez donc pas mon temps, espèce de boucher chevalin nécrophile, mais rapportez-moi l'essentiel en bref !"
"Dommage, Monsieur le policier en chef, la carcasse est vraiment agréable à regarder, malgré le petit krall de jardin dans le crâne. Grâce à mes analyses hautement scientifiques, j'ai pu constater que la défunte a eu sa mésaventure entre hier et aujourd'hui. Pour le reste, je dois procéder à une autopsie très précise du petit corps pour pouvoir vous donner des informations plus détaillées".
Je me demande si Seppel et le pathologiste ont pu être attirés ensemble dans une ruelle sombre.
"Et vous n'avez pas toute votre tête ! Je vais devoir parler sérieusement à votre chef, Monsieur Thanatos, espèce de pervers profanateur de cadavres".
"Mais commissaire..."
"Maintenant, taisez-vous, j'ai déjà perdu assez de mon précieux temps ici".
Il se mit à la recherche d'un subordonné capable de poursuivre cette enquête mal aimée. Le bouc émissaire prédestiné lui sauta aux yeux.
"Hé là, sous-officier, viens ici".
"Oui, monsieur le commissaire en chef !"
L'homme appelé se précipita, rayonnant de joie - un spécimen plutôt chétif et insignifiant des forces de l'ordre de l'Etat - et salua au garde-à-vous le chef admiré, qui en prit acte avec un sourire méprisant.
"Comment t'appelles-tu ?"
"Karl Alhimar, Monsieur le Commissaire en chef !"
"Ça sonne un peu arabe, mais peu importe ! Écoute Alhambra, tu vas t'occuper de tout ce cirque, car j'ai encore une enquête importante à mener au centre de contact local, et je ne veux pas être dérangé. Tu as maintenant l'entière responsabilité et le super-pouvoir absolu de Krypton. Si quelque chose tourne mal, tu le signaleras à l'IGS et tu déclareras que tu as agi de manière totalement indépendante. Tu as compris ça ?"
"Oui, à vos ordres, monsieur le commissaire en chef".
L'euphorie suscitée par tant d'attention et de pouvoir fit presque pleurer de joie le fonctionnaire subalterne, d'autant plus que celui-ci était généralement le dernier maillon de la chaîne alimentaire.
Que le pouvoir soit avec toi !
Sur ces mots pleins de sens, Punchie s'empressa de quitter le lieu de la perdition criminelle.

*

Törööö !
Tristement, il se regarda, roi méconnu de la jungle suburbaine, dans le miroir sale de sa salle de bain aussi minuscule que délabrée. Non, malgré sa carrure herculéenne, il n'était vraiment pas agréable à regarder, comme le laissait entendre son crâne épais ; il suffisait de voir cette longue encoche sur son visage ! Pas étonnant que les Hells Angels ou les Bandidos l'aient chassé à coups de pied en riant, malgré sa longue liste de contemporains assassinés. Bien sûr, une adhésion à des gangs bien plus violents, comme les 'Wilder Kerlen' ou les 'Suburban Crokodiles', était donc totalement impensable. Cela ne pouvait et ne devait pas continuer ainsi !
Déterminé, il enfila sa tenue de tueur et, attrapant sa petite pelle et son petit seau, il se mit en route pour un funeste voyage sans retour.

*

Ennuyé, Punchie regarda le site pornographique sur son ordinateur de service qui annonçait pompeusement comme dernière attraction un spectacle de dames, messieurs et ânes bien proportionnés ainsi que d'autres bestioles. Après plusieurs tours de piste du roi de la maison close en tant qu'acteur - une performance digne d'un Oscar au vu de la fatigue de notre flic de tête - et d'autres talents, l'homme de loi en chef avait envie d'une fête non conventionnelle pour les yeux. Eh bien, le Darknet devenait de plus en plus guindé. Est-ce dû au nombre croissant de décideurs politiques qui surfaient ici à des fins de 'recherche' ?
Les réflexions politiques du voyeur déçu furent brusquement interrompues par une fanfare skypienne. L'enquêteur expérimenté sursauta d'horreur. Oh mon Dieu, il connaissait bien ce son et le duc était un homme sévère.
Fermant rapidement le site érotique des plaisirs insolites, l'enquêteur diligent s'empressa d'accepter la visioconférence et de saluer son dominus d'une voix baveuse.
"Monsieur le directeur de la police, quel plaisir extraordinaire. Qu'est-ce que je peux faire pour vous".
Comment ce petit bout de chou desséché savait-il que quelques minutes auparavant, il avait trébuché à contrecœur dans son pauvre bureau - la gymnastique et certains remèdes pour augmenter la virilité, mais dont l'effet n'atteignait pas le niveau souhaité !
"Punchie, arrêtez de faire du lèche-bottes et faites votre rapport. Avez-vous arrêté le coupable maintenant ?"
"Non, mon ministre. Malheureusement..."
"Assez ! Je suis vraiment profondément déçu de vous ! Je ne veux pas non plus entendre vos excuses à deux balles. Au lieu de faire plaisir aux dames dans le quartier rouge et de consommer de la pornographie bon marché, vous feriez mieux de remplir votre devoir envers moi. J'aurais peut-être dû confier cette affaire à la commissaire Baba Jaga, qui fournit toujours les délinquants adéquats et entretient des relations lucratives avec des hommes d'affaires russes. Je me demande sérieusement si elle ne serait pas mieux adaptée à votre poste ? Mais comme je suis un homme juste, je veux vous donner une autre chance ! En fait, le profil du coupable s'explique de lui-même, mais je vais tout de même vous donner un bref aperçu de mes idées : Le coupable est un homme blanc d'âge moyen, qui appartient bien entendu à l'extrême droite - je suis sûr que vous allez réunir les bonnes preuves à cet égard. Pour que le châtiment politiquement correct fonctionne sans problème, les capacités cognitives du coupable ne doivent pas être trop développées. Mais ne m'amenez pas un sans-abri, un petit bourgeois bioteutonique me semble un choix idéal. Ah oui, ce serait aussi parfait si le criminel était un négationniste avoué du climat. Vous avez compris maintenant ?"
"Bien sûr, votre serviteur de police. Merci beaucoup, merci beaucoup pour le profilage scientifique..."
"Vous êtes vraiment un mauvais lèche-bottes, mais je n'en attends pas moins de mes subalternes. D'ailleurs, le terme correct est 'Votre Grâce' depuis que le Roi Lion m'a anobli. Et maintenant, dépêchez-vous, j'attends un coupable présentable pour demain. Avalez moins de vos friandises aujourd'hui et pensez à Baba Jaga ; en tant que femme, elle est de toute façon politiquement plus apte que vous" !
Avant que le commissaire en chef réprimandé n'ait pu lancer sa réplique huileuse, la communication avait déjà été coupée.
Le duc d'Otrante, de son vrai nom Joseph Fouché, savait tout ! Heureusement que les escapades personnelles de ses subordonnés ne pesaient pas sur son esprit policier, car le directeur de la police, titulaire de la 'Croix du mérite pour son attitude droite', n'était encombré d'aucune sorte de conscience et se laissait lubrifier sa cécité professionnelle par les 'cadeaux' somptueux de ses 'loustics'.
A contrecœur, l'enquêteur en chef, désormais très serviable, contacta sa transusienne d'antichambre, Madame Petrouchka, qui répondit immédiatement au téléphone, car, comme chacun sait, les exceptions les plus inhabituelles confirment la règle.
"Ah the Punch, what do you want ?"
"Hé ? Parlez-moi en teuton et ne vous vantez pas de vos connaissances en anglais pour les pauvres. Je comprends très bien et vous pouvez tout à fait vous passer de ces avances sexuelles !"
Légèrement irrité par un rire aussi inexplicable qu'amusé, le criminologue doué pour les langues poursuivit la conversation.
"Dites-moi plutôt si Seppel est arrivé entre-temps et s'il a rassemblé les suspects ?"
"Effectivement, ils sont maintenant dans la salle d'attente. La commissaire Pulcinella et votre laquais vous attendent déjà avec impatience dans la salle d'interrogatoire, espèce de linguiste".
"Vous pouvez vous passer de ces compliments à deux balles !"
En décrochant le téléphone et en sortant en trombe de son bureau et de l'antichambre, ignorant Petrouchka qui souriait de toutes ses dents, l'agile commissaire en chef se dirigea vers le centre de l'inquisition interrogatoire.
En fait, il avait besoin d'un bon coup de feu, mais la pensée paniquée des conséquences de la colère du duc faisait passer au second plan toutes les infractions à la loi sur les stupéfiants qu'il avait l'intention de commettre.
Légèrement essoufflé, Punchie entra précipitamment dans le temple de la recherche de la vérité et regarda immédiatement le visage souriant et moqueur de Rosa Pulcinella, dont les larges fesses tenaient difficilement sur l'une des deux modestes chaises réservées aux fonctionnaires chargés de l'interrogatoire ; en effet, le fait que l'ustensile ne se soit pas effondré sous le physique de cette enquêtrice, semblable à celui d'un catcheur, était un immense gage de stabilité. De l'autre côté d'une table métallique sans ornement et équipée d'un micro, se trouvait également une chaise pliante de moindre qualité, prévue pour les éventuels délinquants. Pendant ce temps, l'ingénieux sergent Seppel se tenait près de l'entrée du local en forme de bunker, souriant et évoquant avec satisfaction des souvenirs de la Vallée des Rois.
"Tiens, notre Punch ! J'ai cru que vous aviez perdu la notion du temps en vous masturbant dans les toilettes pour hommes !"
Punchie se força à sourire à la troisième candidate à une éventuelle élimination dans une ruelle sombre. Pulcinella, la femme du quota, n'avait certes pas la moindre qualification pour occuper ne serait-ce que le grade le plus bas dans la police, mais elle avait été littéralement catapultée à son poste actuel en raison de son sexe. L'instinct de préservation de l'Etat commandait de faire bonne figure face à un jeu obscène et malsain ; d'autant plus que la dame était particulièrement appréciée d'Otranto, qui la présentait volontiers à ses supérieurs comme un signe 'contre la droite'. En d'autres temps, le duc tenait un certain Adolf Larifari dans une position élevée, qui dépassait certes toute mesure d'incompétence policière normale, mais qui, par son fascisme ouvertement pratiqué, représentait vraiment une excellente enseigne 'contre la gauche'.
"Oh, ma chère Pulcinella, quelle blague réussie ! Si spirituelle et si drôle !"
Sans comprendre, la complimentée caressa ses dreadlocks grasses et poussa un grognement de mépris.
"Une blague ? Arrêtez vos remarques machistes, espèce de clown. Vous vous retrouverez devant le tribunal des femmes plus vite que vous ne pourrez le lécher !"
Une brève lueur assassine passa dans les yeux du charmeur méconnu, qui fit aussitôt place à un sourire débilitant digne d'un film. L'humble imitation d'une féministe, quant à elle, remplissait littéralement votre t-shirt moulant avec le logo du groupe Globaliste Tricky, apprécié de toutes parts par diverses personnalités politiques - célèbre pour ses titres Tout le monde qui n'est pas nazi saute maintenant sur une jambe - encore plus que ne l'exigeait déjà la corpulence émancipatrice.  
"Je vous prie de m'excuser, dame Pulcinella. Mon intention n'était nullement de vous offenser, bien au contraire..."
"Ne vous tortillez plus hors de cette boîte ! Il y aura des conséquences !"
Pendant un court instant, l'enquêteur endurci pâlit devant les mots lancés avec une colère sourde, suivis d'un silence agressif. Soupirant intérieurement, le taureau de tête réprimandé se résigna à son sort et décida d'accomplir au moins la recherche du coupable de manière satisfaisante.
"Seppel, faites entrer le suspect maintenant !"
L'homme en question, tiré de ses plus doux souvenirs, regarda d'abord son maître d'une manière qui était probablement celle du chat lorsqu'il regardait le calendrier, mais il se ravisa ensuite.
"Chef, qu'est-ce que je dois faire pour aller chercher un coupable. Il y en a deux, à cause de la diversité et tout ça. C'est le Binukiu, qui est un ami du sud, et le Krautss".
Comme la concentration du gardien de l'ordre était encore un peu affectée par les événements précédents, la réponse fut assez irréfléchie.
"Je veux bien que vous présentiez votre ami en premier. Mais dépêchez-vous, espèce de crétin !
Après que Punchie eut donné ses instructions à son ami d'une voix de chercheur mouillé, il observa timidement sa collègue du coin de l'œil, dont l'expression sans équivoque - Médée avait sans doute le même air lorsqu'elle massacrait sa progéniture il y a des temps immémoriaux - le fit rapidement retourner vers des horizons plus sûrs.
Après quelques minutes de silence éloquent, la porte de la salle sacrée de la recherche de la vérité par la police s'ouvrit et (roulement de tambour) Binukiu entra, escorté par le fidèle Seppel.
Le commissaire en chef, qui a l'habitude, regarda avec horreur le petit homme maigre, visiblement d'origine pré-asiatique, dont l'apparence était si laide qu'elle en devenait attrayante.
"Si je peux me permettre de faire les présentations, c'est le Binukiu, l'ami de la victime et l'auteur principal du crime".
La fière présentation du corps de police rendit Punchie furieux. Cette peste en uniforme ne pouvait tout de même pas être aussi stupide, il devait y avoir un plan perfide contre lui.
Le 'suspect principal', quant à lui, a d'abord été surpris par les paroles d'introduction de Seppel, puis il a brièvement ri et a regardé l'enquêteur en chef avec un air de connaissance moqueuse.
"Seppel, espèce de sale crétin ! Comment osez-vous importuner ce monsieur ! Un bref interrogatoire de routine aurait été amplement suffisant dans ce cas. Monsieur Binukiu, vous pouvez bien sûr partir immédiatement et vous remettre de vos émotions, mon assistant débile ne vous importunera plus...".
"Un instant, inspecteur en chef Punchie. Puisque M. Binukiu est là, j'aimerais lui poser quelques questions !"
La voix de Pulcinella avait pris un ton inhabituellement doux tandis qu'elle regardait le suspect stylé avec une étrange lueur dans les yeux, qui à son tour fit un signe de tête complaisant à la commissaire corpulente.
"Monsieur Binukiu, voulez-vous un café ou un thé ?
Je suis sûr que le commissaire en chef se fera un plaisir d'aller vous le chercher !"
"Merci, madame ! Mais je ne peux pas accepter de boisson ou de nourriture d'un kafir, car elles sont impures pour moi. C'est avec plaisir que je répondrai à tes questions, Madame, mais sois brève, car mes clients attendent leur médicament à Central Park, comme ton collègue doit bien le savoir".
"Quelle était leur relation avec la victime ?"
L'intervention malvenue de Punchie lui valut un regard extrêmement désapprobateur de sa collègue avide de savoir, qui lui fit plus que regretter sa question.
"Ignorant dimmi, Bibbi était l'une de mes concubines et m'était aussi chère que Chalid, mon chien de combat".
"Veuillez excuser mon collègue insensible, Monsieur Binukiu. Bien sûr, je sais à quel point vous souffrez de cette perte et combien votre chagrin est profond !"
Le peu sensible enquêteur en chef vient d'assister à une première : la compassion et la compréhension de Rosa la tueuse d'hommes ! Un événement digne d'être inscrit dans les annales.
"Le chagrin ? Bibbi, comme je l'ai déjà dit, n'était qu'une concubine. Je déteste seulement qu'on s'empare de mes biens sans autorisation. Pour que tu comprennes, femme. Chalid, ce chien galeux, je suis le seul à pouvoir le tuer. Si quelqu'un d'autre le fait, il paiera le prix du sang ou subira ma vengeance".
Le visage de Pulcinella prit une expression de tendresse.
"Je ne vous comprends que trop bien, mon cher Binukiu. Mais venons-en à ce qui m'intéresse vraiment : Aimez-vous les femmes pulpeuses et pourriez-vous envisager une relation avec une femme forte ?"
L'homme en question fit un clin d'œil conspirateur au commissaire en chef très étonné et répondit avec un sourire condescendant.
"Je ne peux pas m'engager dans une relation sérieuse avec une infidèle, à cause de l'honneur ! En revanche, j'aurais volontiers besoin d'une concubine solide, une place s'est libérée. Mais assez de femme, j'ai encore quelques mots à échanger avec ton collègue !"
Binukiu regarda l'enquêteur en chef, rempli de sombres pressentiments, avec un sourire carnassier.
"Punchie, mon cher, Alkhalifat Allaqalaq me charge de te saluer chaleureusement. Il lui manque le forfait mensuel de CO2 de son serviteur de bas étage Kalle Wirsch, que tu devais lui remettre. Mon oncle, le calife, est certain qu'il ne peut s'agir que d'un oubli et te donne 72 heures pour réparer ton erreur avant que notre estimé collaborateur Akhdir Tamsah ne te rende visite" !
Le messager chargé de l'ordre réprima difficilement un cri d'horreur et parvint, au prix d'un effort considérable, à éviter de se mouiller. Alkhalifat Allaqalaq n'était pas seulement le partenaire de golf apprécié du duc d'Otrante, mais aussi, comme par hasard, le maître absolu et intouchable du crime organisé. Avec Crocodile Dundee, Akhdir Tamsah faisait partie des tueurs les plus efficaces du clan, ce dernier inspirant la crainte même aux gangsters endurcis en raison de la cruauté particulière de ses actes.
"S'il vous plaît, je vous paie tout de suite. Transmettez, cher Binukiu, ma profonde gratitude au calife pour sa grâce extraordinaire..."
D'un geste aussi autoritaire que désobligeant, le neveu d'Hadès mit fin aux manifestations de gratitude policées.
"Tu peux me remettre le tribut dès demain au 'Central', aujourd'hui je dois encore me rendre dans quelques administrations pour obtenir les prestations sociales pour mes différentes identités. Ce ne sont certes que des pourboires, mais tu connais certainement le dicton : même les petits chameaux font du fumier".
Avec un sourire de garçon, le Binukiu multipersonnel sortit un stylo à bille doré de son costume Armani et griffonna son numéro de téléphone sur la paume de la main de Pulcinella qui écoutait, fascinée.
"Tu peux appeler ça ce soir, femme".
L'impétueux admirateur rangea élégamment le précieux instrument d'écriture, sortit de la poche gauche de son exquis costume un petit sachet et le lança d'un geste méprisant au commissaire en chef complètement consterné.
"C'est la maison qui offre ! Alors à demain et n'oublie pas que Tamsah est vraiment impatiente d'accomplir cette mission !"
Binukiu quitta la pièce en sifflant joyeusement la Marseillaise, passant devant un Seppel qui restait bouche bée depuis un moment déjà.
"Quel homme ! Il doit avoir une trompe plus longue que celle de Dumbo, l'éléphant volant !"
Ignorant la commissaire visiblement amoureuse, l'esprit du commissaire en chef était encore occupé par la conversation qui avait immédiatement précédé.
"Chef ?"
Encore confus, Punchie regarda son Seppel, qui lui lança un regard interrogateur.
"Quoi donc ?"
"Si le commissaire en chef veut savoir ce qui est le plus avantageux pour un fossoyeur. Je connais quelque chose qui, pour peu d'argent, donne un aspect angélique aux cadavres les plus abîmés. Ce sont les mêmes que ceux qui ont enterré ma grand-mère. Cet institut appartient aussi au calife, il vous fera certainement un prix spécial à l'avance, à cause de la tamsah et tout ça".
L'homme ainsi conseillé regarda son conseiller zélé avec des yeux injectés de sang. La peur de l'homme de loi se transforma peu à peu en violence policière.
"Misérable Judas ! Je vais vous..."
"S'il vous plaît, pas de propos antisémites ! Votre machisme me suffit déjà !"
La remarque inhabituellement indulgente de sa collègue, apparemment adoucie par des sentiments romantiques, ramena le flic de tête enragé sur le tapis politiquement correct.
D'un geste honteux, le gardien de la paix empocha le cadeau d'adieu de Binukiu et se concentra à nouveau sur sa tâche principale : démasquer un coupable approprié. Peut-être pouvait-on mettre toute l'affaire sur le dos de ce traître de Seppel, mais ce n'était que 'l'ultima ratio', car sans l'autorisation spéciale d'Otranto, aucun collègue, même insignifiant, ne pouvait être sacrifié pour la bonne cause. Mais le deuxième candidat ne s'appelait-il pas 'Krautss' - cela sonnait bien !
"Agent, amenez-moi maintenant le deuxième suspect !"
"Quoi ? Ah, le Krautss, qui est maintenant le coupable. Servi immédiatement !"
Quelques minutes plus tard, l'objet de la convoitise des enquêteurs se tenait devant ses inquisiteurs - une apparence aussi peu attrayante que son prédécesseur, mais de loin pas aussi bien habillée.
"C'est Karl Krautss, qui habite à Gelsum-Sud, au 7b de la rue Morgue. C'est celui où la victime a vu et vénéré la dernière fois".
"Merci, monsieur l'agent. Vous êtes donc Monsieur Karl Krautss !"
Se débarrassant des émotions désagréables liées à d'éventuelles activités criminelles claniques dans un avenir proche, Punchie observa l'élu avec un intérêt croissant et prédateur - l'apparence extérieure correspondait déjà parfaitement aux souhaits les plus chaleureux.
"Oui, monsieur l'inspecteur ! Karl Krautss mon nom, avec un double 'S' !"
"Bien sûr : 'SS' ! Foutu nazi ! Seppel, mettez ce maudit fasciste aux fers !"
Après l'explosion de colère hystérique de Pulcinella, qui s'était levée d'un bond et sautait d'une jambe sur l'autre, l'interpellé s'empressa de passer les menottes à un Krautss complètement perplexe et sans ménagement.
Comme Punchie a apprécié cette situation réjouissante. Enfin, cette blague d'un policier servait à quelque chose.
"Calmez-vous, chère collègue, l'extrémiste de droite est finalement attaché ! Seppel, si le suspect continue à résister, utilisez votre taser ! Et de votre part, je m'interdis de faire d'autres déclarations d'extrême droite" !
"Vieil homme blanc répugnant !"
Considérant Krautss comme un insecte particulièrement répugnant, la commissaire, qui luttait violemment contre son excitation, prit place.
"Non, Madame l'inspectrice en chef, ce n'est pas du tout ce que je voulais dire..."
"Tout simplement répugnant ! Ce nazi m'est tout simplement insupportable !"
A la surprise de tous les participants, Pulcinella, toujours en colère, quitta la pièce à une vitesse olympique, renversant sa chaise sous le coup de l'émotion. Punchie n'était pas trop mécontent de cette sortie en fanfare, car cela lui permettait de confondre le coupable en toute tranquillité et de s'attribuer l'exclusivité de la gloire.
"Krautss, je vous préviens ! Si vous continuez à répandre vos ordures de droite, il y aura des conséquences !"
"Mais Monsieur l'inspecteur en chef, je ne suis pas de droite !"
"Taisez-vous, ce n'est pas à vous de juger ! Nier ne vous servira à rien ici, cela ne fera qu'empirer les choses. Dans votre intérêt, vous devriez répondre honnêtement à mes questions. Alors dites-moi : pourquoi exactement avez-vous assassiné Mme Bibbi Blockhill de manière si cruelle ?"
"Je n'ai pas tué cette femme, je vous prie de me croire, je la vénérais. En tant que détective des ordures, je suis presque un de vos collègues et je ne commettrais jamais un tel crime. L'homme et la nature me tiennent à cœur, même si le changement climatique me semble étrange. Mon père a toujours dit : crée, crée, construis une maison...".
L'habile criminologue en chef regarda presque affectueusement le délinquant, visiblement choqué, qui tombait dans une confusion croissante. Ce type ferait très bien l'affaire dans le procès-spectacle qui allait suivre.
"Vous êtes aussi un négationniste du climat ! Krautss, vous êtes une vraie bête !  Que dirait votre père s'il savait quel monstre il a engendré !"
"Ce n'est pas ce que je voulais dire..."
"Je vous avais prévenu ! Seppel, tasez, s'il vous plaît !"
Le commissaire en chef, qui s'ennuyait, était fatigué de ce petit jeu, d'autant plus qu'il y avait encore une collecte d'argent urgente à faire auprès de personnes protégées, afin de mener à bien une certaine transaction à Central Park qui devait prolonger sa vie. En ce qui concerne Krautss, son profil correspondait en tous points aux exigences du duc d'Otrante. Obtenir des aveux pour le meurtre de Blockhill et tout autre homicide ne prendrait pas plus de trois jours ; pour un coupable parfait, même le duc prenait son mal en patience.
"Karl Krautss, je vous arrête pour le meurtre de Bibbi Blockhill, que l'on soupçonne fortement. Seppel, ramassez ce pleurnichard et jetez-le donc dans le Carcer Mamertinus" !

*

Complètement satisfait de lui-même et de son petit monde, Punchie s'est offert un bon coup de nez dans le paquet cadeau de Binukiu. Avant de partir en tournée pour collecter les fonds de la protection auprès de restaurateurs compréhensifs, le criminologue à succès avait décidé de s'arrêter un instant dans son bureau douillet. Le calife était déjà un sacré grippe-sou de faire une telle histoire pour un petit millier d'euros. Cependant, l'imprudence impardonnable de l'entreprenant commissaire en chef était de croire qu'Alkhalifat Allaqalaq ne remarquerait pas qu'il détournait l'une des nombreuses taxes du roi des maquereaux. Malheureusement, l'argent a été directement dépensé dans des jeux de hasard illégaux, de sorte que Punchie a dû prendre des mesures spéciales. Certes, après avoir payé sa dette, le gardien de l'ordre public devait encore quelques faveurs au sévère calife, quasiment sous forme d'intérêts, mais c'était le cadet des soucis de ce policier au caractère souple. Au moins, le duc d'Otrante avait maintenant le coupable tant attendu et continuerait à lui laisser les mains libres, car il n'était guère intéressé par la petite délinquance et ne préférait que les coupes à grande échelle. Il ne restait plus qu'à faire un rapport au directeur de la police, qui marchait dans la pénombre, avant qu'il ne parte collecter les fonds.
"Törööö !"
Sans le savoir, un illustre personnage était entré dans le pauvre bureau, tandis que le commissaire en chef, de bonne humeur, s'apprêtait à sniffer une nouvelle dose de poudre blanche énergisante.
"Seppel, espèce d'abruti..."
Punchie remarqua que ce n'était pas du tout le fidèle constable qui s'était introduit là sans se faire remarquer. Devant lui se trouvait une énorme silhouette qui s'était manifestement déguisée de manière étrange en nain de jardin. Petit chapeau à pointe, pantalon de cuir, etc...
Le commissaire en chef fixa avec stupeur cet étrange invité, qui ouvrit la conversation d'une voix étrangement aiguë.
"Votre assistante m'a dit que vous étiez l'enquêteur responsable ici. Permettez-moi de me présenter :"
Le géant a galamment tiré sa drôle de casquette en forme d'amanite tue-mouches devant le chasseur de gang sans voix.
"Ben Flowers. J'aimerais me rendre. J'ai tué tous ces gens avec mes outils de la jardinerie. Non pas que cela m'ait vraiment plu, mais savez-vous à quel point c'est ennuyeux de toujours être le gentil ? Törööö ! Devoir constamment sauver des gamins ou des mamies qui te remercient tout au plus par des mots vides de sens quand ils ne te volent pas ou ne te donnent pas de coups de pied dans le rail, c'est tout simplement déprimant. Je me suis dit : "Ben, c'est vraiment tout ? J'étais déjà tenté de rompre et de rejoindre les chasseurs d'ivoire. Mais alors que je regardais avec désespoir le nouveau Batman en guise de tentative de suicide, j'ai eu une révélation ! Comme le grand Joker est éblouissant à côté de cette chauve-souris incolore ! J'ai donc décidé de profiter enfin d'une vie bien remplie en tant que méchant ! Et c'est amusant ! Toooooo ! Mais j'ai un problème ! J'aspire à la compagnie de ceux qui partagent mes idées. Malheureusement, les bandidos et les Hell's Angels ne me croient pas. C'est pourquoi, mon brave, arrêtez-moi pour mes méfaits ! Je m'évaderai alors et serai enfin pris au sérieux" !
Le commissaire en chef, étonné et amusé, se rendit compte qu'il avait affaire à un contemporain complètement fou, qui lui semblait pourtant inoffensif.
"Tiens, tiens, c'est vous le jardinier. C'est ce que vous dites. Je vais vous donner un bon conseil : allez tout simplement dans l'établissement psychiatrique le plus proche et demandez à être admis. Je suis sûr qu'on vous y attendra avec plaisir. Vous savez quoi : demandez simplement à mon antichambre, la Pétrouchka, d'aller chercher un collègue en uniforme qui vous escortera jusqu'à l'établissement le plus proche. Je vous interrogerai à l'occasion".
Le criminel en chef, qui jusqu'à présent se retenait de rire, eut une pensée qui aurait dû lui venir depuis longtemps.
"Au fait, comment êtes-vous entré ici ?"
"J'ai tout simplement tué tout le monde sur mon chemin avec ma petite pelle et mon petit seau ! Après tout, vous avez aussi besoin de preuves pour m'arrêter".
Ben Flowers secoua sa tête géante avec regret.
"Je ne peux malheureusement plus parler à votre secrétaire, car j'ai perdu ma petite pelle dans sa tête. Ah, mon seau ! Il se trouve maintenant sur la tête d'un homme en uniforme nommé Seppel, que je n'ai pas réussi à tuer, mais qui erre dans le commissariat, désorienté ! Vous allez m'arrêter ?"
Manifestement, le type avait complètement perdu la tête. Punchie a constaté avec horreur qu'il n'avait pas son arme de service sur lui. Une confrontation physique avec le géant semblait un peu risquée. Le commissaire en chef a donc opté pour une autre tactique.
"Mais mon bon monsieur ! Calmez-vous un peu. Bien sûr que je vous arrête. Rentrez chez vous et attendez l'équipe d'intervention spéciale".
"Je vais enlever mon déguisement pour que vous puissiez voir ma véritable identité !"
Ce type n'était pas seulement plus fou qu'un rat d'égout, mais il était manifestement aussi complètement pervers ! Comme un rat qui fait semblant d'être mort, Punchie a subi le strip-tease. Ce qui en sortait lui paraissait complètement absurde.
"Bon sang, enlevez au moins ce costume d'éléphant ridicule. Il vaut mieux que vous sautiez à poil dans le quartier que dans cette tenue".
"Costume d'éléphant ?"
"Oui, espèce de malade. Là, même en nain de jardin, vous aviez l'air moins grotesque".
Avec une résignation fatiguée, Ben Flowers secoua sa tête en forme de trompe.
"Vous ne me croyez pas ! Heureusement que j'ai caché un tuyau d'arrosage Gardena dans mon chapeau à pointe ! Alors je vais vous tuer aussi et attendre que quelqu'un me croie" !
Quelques minutes plus tard, le travail de jardinage était fait et le commissaire en chef incrédule était probablement dans un monde meilleur.
Et s'il ne s'est pas ennuyé à mourir, Ben Flowers attend encore aujourd'hui que quelqu'un le croie.
 

© 2021 Q.A. Juyub


 

All rights belong to its author. It was published on e-Stories.org by demand of Qayid Aljaysh Juyub.
Published on e-Stories.org on 12/29/2021.

 
 

The author

 

Comments of our readers (0)


Your opinion:

Our authors and e-Stories.org would like to hear your opinion! But you should comment the Poem/Story and not insult our authors personally!

Please choose

Previous title Next title

More from this category "Satire" (Short Stories in french)

Other works from Qayid Aljaysh Juyub

Did you like it?
Please have a look at:


The Witch Finding - Qayid Aljaysh Juyub (Historical)
Heaven and Hell - Rainer Tiemann (Humour)