David Sellem

L´amour.. Miam ! Miam !

 

   

   Aujourd’hui j’ai acheté du raisin blanc. Il était là, exposé par grappe dans des espèces de feuilles alvéolées et légères, elles vraiment blanches. Oui, parce que le raisin blanc, si on ne voit pas le nom indiqué à la craie blanche sur une petite ardoise au-dessus de l’étale, et où sont également indiqués le prix et la provenance, on jurerait qu’il est plutôt vert ! J’imagine que si on l’appelle raisin blanc, ce doit être pour d’obscures raisons, ce qui somme toute, n’est pas très drôle. Il avait l’air ferme, et les grains tenaient bien sur la grappe. Tous ces grains agglomérés savent-ils leur présence, chacun près de son voisin si semblable, et si différent. Oui, parce qu’il n’y a pas deux grains de raisin identiques ! Chaque grain est unique. Ça m’a fait du bien de les acheter, de les détacher en tirant, une première grappe, puis une seconde, plus importante, puis m’étonner au moment de la pesée. Ne sachant si je devais considérer le prix indiqué comme excessif ou au contraire attractif… quoique, les deux peuvent se croiser.

   Puis j’ai continué à faire mes achats, en pensant à mon raisin blanc, là dans son petit sac transparent, dans mon caddie. Il semble qu’il venait d’Italie. C’était ce qu’indiquait l’ardoise au demeurant. C’est là-bas, quelque part en Italie qu’il est né, qu’il a grandit, qu’il a été élevé puis a été cueillit, avant d’être envoyé en France, ici, où je l’ai acheté. Effectivement, je n’aurais pas pu aller l’acheter là-bas, où alors si, en le consommant sur place peut être… Mes courses finies, je suis rentré à la maison, et là, Mathilde m’a demandé pourquoi j’avais pris du raisin blanc, alors qu’elle m’avait demandé du raisin noir. J’ai tenté une blague sur la couleur véritable du raisin noir, mais elle n’a pas ri, elle s’est énervée puis emportée carrément. J’ai tenu bon, je lui ai menti en lui expliquant qu’il n’y en avait plus et qu’il ne restait plus que du raisin blanc, elle s’est calmée un peu et a continué à râler mais cette fois contre le magasin, et non plus contre moi.  J’adore entendre Mathilde râler. Elle ne le sait pas.

   Des fois, c’est vrai que ça va un peu loin, lorsqu’elle m’insulte, mais à chaque fois je trouve de quoi retourner la situation, et ça s’apaise. Je lui arrange un peu la vérité, et à moi aussi, et alors tout va mieux. Par exemple, il est vrai, et personne ne peut le contredire, qu’il n’y avait pas de raisin noir au supermarché. D’ailleurs, du blanc non plus. Il y en avait du vert, du raisin vert, celui que j’ai acheté, et du raisin violet, celui que je n’ai pas pris et qu’elle voulait… Enfin non, elle voulait du raisin noir. Et puis il y a tout ce que je fais et qui la perturbe un peu, juste assez pour la maintenir en tension, je vois bien que ça la travaille, mais elle ne m’en parle pas, elle fait avec, elle fait avec moi… Je déplace des objets dans la maison, très légèrement, suffisamment pour qu’elle ne me soupçonne pas. Alors, elle râle contre elle-même, contre le sort, moi en l’occurrence. Et puis des fois ça ne marche pas bien. Des fois, elle crie, elle casse des choses, elle se fait du mal. Bon, bien sûr je l’aide un peu dans ces cas-là, mais sans laisser de traces, sans lui faire des bleus qui sur le corps, sans mauvais jeu de mots, le sont vraiment. Ils évoluent d’ailleurs, ils changent de couleur… Il y a des dégradés de  rouge d’abord, différents bleus, parfois un vert tirant entre le kaki et le marron, du jaune aussi… Un arc-en-ciel sur sa jolie peau, si blanche, si douce.

   Mathilde aime beaucoup quand je la frappe, après on fait l’amour et ça nous apaise, elle et moi. Parfois quand je l’embrasse, je la serre si fort dans mes bras, que souvent j’ai envie de la manger, surtout après l’amour. Mais ça serait dommage d’interrompre une relation aussi harmonieuse, on s’entend tellement bien elle et moi. On est exactement en phase. Jamais je n’avais eu une aussi bonne relation avec une femme. Pourtant, Dieu sait que j’en ai mangé des femmes, des tas. Mais avec Mathilde, il y a quelque chose de si différent. Et puis sexuellement c’est très important quand je la frappe, il faut bien dire ce qui est. On s’aime. Et nous aimons ça tous les deux, que je la frappe, d’ailleurs elle me frappe aussi avec vigueur ! Nos bleus sont réciproques, mais c’est vrai que les siens sont peut-être un petit peu plus prononcés. Ah l’amour… C’est très particulier de frapper quelqu’un qu’on aime et qui vous aime. C’est comme le raisin, ça a un nom qui ne correspond pas tout à fait à la couleur du fruit. Et bien frapper Mathilde, c’est pareil. Enfin c’est vrai qu’elle ne m’a jamais dit qu’elle n’aimait pas ça, c’est pour ça que j’en ai conclu qu’elle aime bien. Quoique, c’est vrai que j’aime bien aussi quand elle me frappe…

   Avec Alice c’était très différent. Alice ne voulait pas que je la touche, aussi je m’exécutais, ah lala ce que j’ai pu l’aimer mon Alice. Mais ça n’a pas bien marché entre nous, je l’aimais trop, je m’en rendais compte mais je ne pouvais pas faire autrement, du coup… je l’ai mangée. C’est arrivé comme ça par inadvertance. Un soir on avait fêté son anniversaire, c’était grandiose avec plein de champagne, des tas de plats différents, j’avais pas mal cuisiné, nos amis aussi d’ailleurs, et on avait fait la fête jusqu’au petit matin tôt. Et puis quand tout le monde est reparti, lorsque l’on s’est retrouvé tous les deux, nous avons fait l’amour avec une telle sensualité, un érotisme tel, et ses formes généreuses et charnues m’ont donné tellement envie que je n’ai pas pu m’en empêcher. Je l’ai mangée. C’est terrible, je suis vraiment incorrigible. Bon, il faut dire pour ma défense que j’avais peu mangé pendant la soirée, j’avais fait le service, m’étais occupé des invités, de la musique, bref j’avais essayé de faire en sorte que ce soit sa soirée. Et ça l’a été, elle était vraiment émue, c’était une surprise, et elle était touchée par cette organisation qui n’aurait d’ailleurs jamais pu se faire sans le concours de nos amis et de sa famille. Mais voilà, au petit matin, le ventre vide et la fougue de ma gourmandise aidant, j’ai dérapé, une fois de plus. Pfff… quel gâchis. Je m’en veux ! Je m’en veux tellement ! Mais tout de même, elle avait un goût si délicieux. Et je n’aurais voulu manquer ce repas pour rien au monde. Ce qui est dommage c’est qu’elle n’ait pas pu le partager avec moi. Tant pis, je commence à avoir l’habitude maintenant, elle n’a jamais été que la quarante troisième femme que j’ai mangé.

   Mais là, j’essaie d’être raisonnable. Avec Mathilde, je fais en sorte que nos ébats s’arrêtent, en tout cas en ce qui me concerne, à une satisfaction simplement coïtale, en excluant couteaux et fourchettes. Bon, c’est vrai que je garde toujours un peu de sel et de poivre près du lit, et que je lui en mets sur la peau quand elle dort, mais je pense que ça ne la dérange pas, et puis elle sait que je suis carnivore après tout. Elle ne sait évidemment pas que j’ai mangé déjà beaucoup de femmes, je ne lui en ai jamais parlé. J’essaie donc de réfreiner mes fringales, ce serait dommage que ça recommence, même si je lutte ardemment pour éviter ce repas qui, finalement serait comme qui dirait un repas d’adieu. Enfin pour moi. Oui ça fait un peu multi emploi, repas d’adieu, de deuil et enterrement en même temps. Oui parce que les os il faut bien que je les mette quelque part. Vous êtes drôle vous !

   Au début j’avais dans l’idée d’en garder, pour faire des souvenirs à la maison comme ça, mais non en fait ce n’est pas possible. Et puis je n’ai pas un style gothique donc ça aurait juré avec la déco chez moi. Bon ce qui n’est pas simple aussi ça a été à chaque fois d’expliquer leur départ brutal, à chacune. Et oui quarante trois ruptures brutales quand même, ce n’est pas banal. Et bien j’ai trouvé le truc imparable, à chaque fois, j’ai changé d’identité, de lieu de résidence et d’entourage ! Et voilà, le tour est joué ! J’ai même vécu à l’étranger pendant sept ans, mais oui, deux années en Suisse allemande, deux années en Flandres et trois années en Espagne. Du coup, c’est vrai que ça offre des possibilités professionnelles extraordinaires, quand je dis ce que j’ai fait comme métiers les gens ne me croient pas ! Et c’est une fois que je suis à l’œuvre qu’ils se rendent compte que si, je sais faire tout ce que je dis que je sais faire ! Pour vous donner un petit aperçu, j’ai été bucheron, maçon, trader, coiffeur, banquier, kiné, infirmier, comptable et quelques autres petites choses ! Ah la vie est si simple et si agréable. Mon seul regret c’est finalement cette manie de manger les femmes qui m’aime et que j’aime. C’est, je dirais, mon plus gros défaut. J’en ai d’autres bien sûr, je suis trop organisé, trop soucieux des détails et puis j’ai cette tendance à trop me donner pour les autres, vraiment ça c’est un réel handicap.

   Hier on a regardé un super reportage sur l’Italie à la télé, ça m’a donné envie d’y aller, ce style de vie à l’italienne, ça a l’air fabuleux. Bon je ne parle pas italien, mais je suis doué en langues et je pourrais, je pense, apprendre rapidement. Et puis j’adore découvrir de nouveaux endroits, et j’ai toujours eu envie de m’appeler disons… Roberto ou Silvio par exemple !

-« Mathilde, tu es rentrée ? Viens chérie, on va faire un gros câlin, j’ai envie de toi, je vais te dévorer toute crue… »
 

David SELLEM

 

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Published on e-Stories.org on 07/31/2013.

 
 

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