David Sellem

Comment bien aimer Brigitte C.

 

    

     En tant qu’homme, il y a des femmes dont on apprend des choses essentielles, et d’autres dont on apprend des choses importantes. De Brigitte C. je n’ai rien appris de tout cela, mais plutôt de ces sortes de choses qui ne servent pas, sans pour autant que l’on puisse en faire l’économie. De ces choses qui ne changent rien à la vie, au quotidien, au sens de l’existence et surtout, au célibat. Lorsque j’ai rencontré Brigitte C. elle était heureuse. Cela se poursuivit d’ailleurs fort longtemps indépendamment de notre rencontre. Il y a des rencontres comme celle-là, qui marquent votre vie, mais pas celle des autres, ma rencontre avec Brigitte C. fut de cet ordre là. Evidemment, il serait facile de tomber dans la description fugace et sans intérêt de ladite Brigitte C., mais plutôt que de se livrer à cet exercice inutile, tout juste est-il important d’indiquer sa petite taille, sa chatoyante chevelure châtain claire tirant vers le roux, ses sublimes yeux verts, et sa bouche délicieusement sensuelle, enfin son style à mi chemin entre une intellectuelle ingénue et une hippie échappée des seventies. Cependant, tout ceci ne donne qu’une vue de l’esprit qui concourt peu à définir la nature de nos relations, car en effet, avec Brigitte C., l’on parlait. Aussi ne m’attarderais-je pas sur la forme de ses seins, le galbe de ses hanches ou le rebond de ses fesses, qu’il ne m’a jamais été donné de voir, ni même de deviner.

     Non, Brigitte C. parlait avec moi. Elle parlait beaucoup, suffisamment pour que je l’écoute, au moins que je l’entende. Je ne saurais assurer le lecteur de la réciprocité, étant donné que de mon côté, je lui parlais peu. Dès nos premiers échanges, je su que quelque chose se passait entre nous, de mon côté. La vivacité de nos conversations, animées par elle, l’intérêt qu’elle me portait, surtout au fait que je lui étais attentif, tout ceci soulignait un accord parfait entre nos emplois du temps respectifs d’étudiants lambda en première année de psychologie, et quelque peu oisifs par opportunisme. Nous passions donc du temps ensemble à la bibliothèque de l’université, à la cafétéria de l’université, dans le forum de l’université, dans les allées de l’université, bref uniquement à l’université. En dehors de ce lieu, toute communication semblait impossible, sans que je pu jamais l’expliquer. Et aussi devant les amphithéâtres de l’université, j’avais oublié ce lieu-là également.

     D’elle, j’appris donc comment l’on pouvait l’aimer. Tout d’abord, j’appris qu’il fallait être un homme, premier point en ma faveur. Il fallait ensuite pour l’aimer mesurer un mètre quatre vingt dix, et ce point là était délicat. En effet, que je sois un homme ne faisait aucun doute, mais personne ne pouvait me confondre de loin ou de près avec un basketteur ou au moins une grande personne, étant donné que je n’étais pas un grand homme et que par conséquent, nos tailles  étaient très voisines. Il fallait peser ensuite cent kilos, et là aussi, je ne faisais pas le poids. Enfin, il fallait ne pas être un étudiant pauvre, boursier, inscrit dans la même université qu’elle, dans une filière bouchée et à majorité féminine. Ces derniers éléments constituaient donc de sérieux handicaps au but quasi pharaonique que je m’étais fixé, aimer Brigitte C.

     J’appris également qu’il fallait être un peu plus âgé qu’elle, et avoir un travail. S’il m’arrivait de travailler durant les congés scolaires, il ne m’était pas possible de vieillir plus vite que ne l’obligeait le temps. Un des moyens aurait été de mentir sur mon âge lors de nos premiers échanges, mais j’ignorais alors que ce détail concourrait à l’ensemble des choses importantes qu’il fallait pour l’aimer. Bien entendu il ne m’était désormais plus possible de revenir en arrière à ce sujet, afin de me vieillir de trois ou quatre années, ou de naître plus tôt, Brigitte C. était en effet un peu plus âgée que moi. Outre sa grande beauté, sa conversation était étendue, aussi me fallait-il être ouvert à toutes sortes de thèmes aussi variés que les effets indésirables de l’excès d’alcool durant ses soirées festives lycéennes ou ses considérations autour du statut de la femme dans la société moderne. En effet, sans être une militante du mouvement pour la libération des femmes, Brigitte C. était toujours indépendante, surtout vis-à-vis de moi. Elle m’apprit ainsi qu’il n’était pas nécessaire que je connaisse son numéro de téléphone, ni même son adresse, et ne m’informait de son emploi du temps qu’avec parcimonie.

     Cependant, elle me parlait volontiers de ses problèmes relationnels avec certaines personnes de son entourage, surtout ses ex, ou comment elle avait décidé de s’inscrire en fac de psychologie, après avoir hésiter avec la sociologie, ou encore comment je pouvais lui prêter certains de mes cours ou aller chercher des livres à la bibliothèque pour elle. J’apprenais donc beaucoup auprès de Brigitte C. Elle m’apprit la patience lorsque je l’attendais à la fin d’un cours alors qu’elle n’y était finalement pas allée, ou lorsque je l’attendais le midi devant la cafétéria alors qu’elle avait été retenue ailleurs par des prérogatives auxquelles elle ne pouvait se soustraire d’aucune façon, accompagner ses amies faire les boutiques aux halles, ou aller au restaurant avec un ex petit ami. Et Brigitte C. s’excusait toujours, elle m’apprit ainsi le sens profond de l’amitié et de la considération. Brigitte C. n’avait en réalité pas à s’excuser, elle l’était déjà du fait même qu’elle était Brigitte C., une femme qu’on aime, enfin qu’on tente d’aimer, surtout une femme dont on aimerait être aimé.

     Il n’était donc pas rare que l’on nous voit ensemble, puisque là où Brigitte C. était, j’advenais. Je la suivais dès le matin, et souvent tous les jours de la semaine. A l’exception des week-ends et des jours fériés. Je la suivais et elle me laissait la suivre, jusqu’au jour où je m’ouvris à elle sur ma secrète entreprise. Elle m’apprit alors qu’elle était flattée, ce qui fut suivi d’un très prévisible « et bien ce n’est pas réciproque tu sais, nous sommes des amis, tu comprends… et de toute façon ça ne pourrait pas marcher entre nous.. » Ce qui était une bien gentille manière de me dire qu’elle me trouvait plutôt moche, peu intéressant et certainement con. Alors j’appris que pour bien aimer Brigitte C., et donc être aimer en retour par elle, il fallait l’avoir connue quelques années plus tôt, et en définitif, s’appeler Karl. Ces derniers détails finirent de ruiner mes dernières illusions. Je sus alors que celles-là mêmes m’avaient fait perdre tout amour propre et toute dignité, je les retrouvais désormais dans la peine, mais comme une surprise. Merci Brigitte C.

 
David SELLEM

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Published on e-Stories.org on 08/10/2010.

 
 

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